Le monde est une vaste brocante. Avant d'en lire l'histoire (meubles d'urgence // René Gabriel 2/2), écoutons l'aventure d'une récolte de bahuts d'urgence dessinés par René Gabriel : voici les souvenir jetés des sinistrés de 1944, quand des meubles repoussaient dans les plaines des villes rasées... Sachons-le, le bloggeur est un collectionneur, il se revendique du carnet de voyage et du journal intime tout en sachant qu’il comble un manque, accumule, ré-unit, re-colle. En quête d’apaisement, il collecte pour construire son miroir, celui dont le poli doit être aussi parfait qu’unique. Narcisse insatisfait car le reflet est inévitablement incomplet, inachevé, à la Corinne Vionnet. Amusons-nous au détriment des objets, de leurs imperfections, cette fois à la manière de Walter Benjamin cherchant l'objet en série ayant vécu. Voyons un vintage qui n’est ni propret ni coquet mais sauvage, comme les vendanges…
Blogger is a collector, claiming the travel diary and the diary, knowing that it fills a missing, accumulates, re-united, re-glue. In search of peace, it collects to build a mirror, the one whose policy is to be as perfect unique. Narcisse dissatisfied because the reflection is inevitably incomplete, unfinished, like Corinne Vionnet. Let's play a little at the expense of objects, their imperfections. See a vintage that is neither tidy nor pretty but wild, as the harvest ... World become a flea market: story of a collection of chests emergency René Gabriel.
Notre environnement est fait de collectionneurs : d’aucuns quand ils font leurs courses, certains quand ils écrivent l’œuvre-de-leur-vie, et la plupart aimant le beau et l’art, chacun à sa manière. Des esthètes en quête de perfection. Tous. Mais seule la collection peut le prouver en se montrant, du moins si elle se transforme en accumulation visible. D'abord une fausse piste : admettons en un premier temps que le collectionneur cherche la pièce parfaite, celle qui achève une série, celle n’ayant aucun défaut, ou – a contrario - seule à en posséder un (un défaut bien connu, marque infalsifiable de son authenticité). Oublions déjà l’original, le prototype, le premier, l’unique, cet objet n’existe pas car il représenterait en soi l’achèvement de la collection. La fin de la série, la division.

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C’est sur ce point que commence mon jeu : et si la lumière actuelle altérait inévitablement cette perfection originelle. Imaginons cet objet irréprochable mais cuit, re-cuit, détruit, dé-construit. Alors l’esprit même de la collection s’altère et l’on emprunte une toute autre piste, celle du romantisme, du voyageur égaré dans un univers inconnu et troublant. Le voyage pittoresque du baron Taylor et de Charles Nodier. A l’opposé de l’avare qui se préserve et creuse les distances, le romantique se met en danger, sait que l’objet de sa collection le dépasse et ne lui appartient plus : il admet ne pas être l’être-au-monde et entame, seul-au-monde, une vie d’errance, s’offrant au reste-du-monde comme un Libertin.
Ci-dessous, le plus "propre" sur Wikipedia et le plus "fort" sur le site des amateurs de bunkers Atlantikwall...
Alors regardons passer ces objets, bruler les petits papiers. Quel intérêt, donc, à maintenir la collecte ? Mais tout simplement tirer les bénéfices de l'abondance, par exemple, et voir les variations individuelles dans la série, jouir des petites différences pour y découvrir l'espace intermédiaire entre le Beau et le Laid, le Faux et le Vrai, le Vieux et le Jeune, le spectacle et le simulacre. Ce "bahut pour sinistré" est toujours sur le Boncoin : environ un par semaine - un plaisir de comparer, de se lier, de trouver le(s) sien(s)...
Les archives nous apprennent que le Ministère de la Guerre en a fait produire des dizaines de milliers. C'est le premier meuble de "grande série" en France mais combien ont survécu ? Allons les chercher, aimons-les. Mais, nous, collectionneurs assoiffés de vérité, nous devons savoir une simple chose : comme le Ministère envoyait ces plans à de nombreuses entreprises, elles ont produit, imité et transformé des dizaines de modèles - sans doute très longtemps, sans doute jusqu'à aujourd'hui. Ci-dessous, le plus jeune et le plus faux, tout en hêtre - dans un Emmaüs près de Nantes pour 30 euros... Un autre de fabrication suisse, signé, avec tiroirs en ronce de noyer... Un dernier, beau comme un roman, tout en frêne doré.
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Alors les voici dans toute leur splendeur : ce sont les derniers que j'ajoute à mon tableau de chasse à mesure qu'ils se présentent. Car ils sont rares, très rares, ce sont eux les plus précieux ! Il y a d'abord les normopathes, ceux qui veulent vraiment cacher leur passé indicible sous une couche de peinture, ressembler à tout le monde en s'adaptant systématiquement, en se reconstruisant en permanence. Ce sont les imitateurs, dangereux, profondément schizo'. Et puis il y a cette folie des profondeurs que l'on ne peut pas cacher, qui s'exprime immédiatement aux yeux de tous, les vrais hystériques. Et je n'en ai trouvé qu'un, dans le style "breton-basque", créé à l'époque par quelque ensemblier-décorateur aliéné !
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Pour la véritable histoire : Meubles d'urgence / René Gabriel (2)