La messe est dite, le nouveau cycle des saisons est annoncé : au printemps et à l'automne, nous serons confinés ; l'hiver, nous resterons à l'étable ; viendra la transhumance, l'été, où nous pourrons consommer... Oui, c'est parti, c'est maintenant, et on en a pour dix ans, vu le pourcentage des immunisés. Quelle époque ! Ce scénario semble encore insouciant car un autre virus peut apparaitre entre-temps... Quelle époque ! (bis). À moins d'accepter de devenir des transhumains, OGM mutés par des néo-vaccins... Quelle époque ! (ter).
Alors, pour changer de refrain, que nous dit l'art sur cette fameuse époque ? Tout d'abord, il faut remonter en arrière : au milieu du XXe siècle, l'art était utile et promettait le confort moderne pour le "plus grand nombre" grâce à la technique. Les artistes du progrès matériel sont donc des techniciens, des architectes, des décorateurs. Mais où en est l'art aujourd'hui même ? Peut-on identifier de la même manière un support ou une expression qui correspondrait au mieux à notre imaginaire actuel, à nos représentations esthétiques, à nos émotions partagées, à nos désirs collectifs, à nos peurs ? Encore une mauvaise nouvelle : tout espoir a disparu lorsque l'on a lu Considération sur l’état des Beaux-Arts de Jean Clair... Comment ne pas admettre avec lui la fin des arts au profit des pacotilles ? Depuis quarante ans, immeubles, meubles, tableaux, sculptures se transforment en supports provisoires programmés pour être de bons placements spéculatifs. Dans la civilisation du progrès financier, l'artiste-artisan se transmute en marketeur-communicant. La technique s'achève en technologie. Tout s'arrête là, quelque part dans les années 1980. Vraiment ?
Fin ou début ? Il faut se remémorer les années 1990 et la fascination qu'exerce alors Photoshop. L'art redevient illusion. La pensée magique de Lascaux, de la chapelle Sixtine, des formes nouvelles du mouvement Moderne, tout cela renaît dans l'hyper-réalisme virtuel. Nous y croyons, massivement. La sensation est tellement partagée qu'elle donne naissance au verbe "photoshoper" : visages parfaits, textures plastifiées, surfaces hygiénisées... La purification protestante gagne sa bataille contre la souillure catholique, avant l'arrivée de la violence islamiste. Tout est affaire de religion ? Mon Dieu, non ! Cet affrontement reflète l'air du temps, mais l'art fait mieux. Il agit de manières sympathique, empathique, esthétique. Il mémorise et parfois - beaucoup plus rarement - il anticipe. Au tournant des années 2000, les photographes nordiques sont à la mode car ils suivent le logiciel, épurent corps, paysages, intérieurs, mettent en image le happy end de l'Histoire prophétisé par Fukuyama. Cet art n'anticipe pas, il fige, interroge peu et s'effraie vite face au vide du Moi au milieu du Rien, ou du Rien au milieu du Moi... Non, mais décidément... Quelle époque ! (der) A contrario, Gilbert & George se rebiffent : Nous au centre de tout. Ils poussent la profusion, déplacent le libre Pop Art vers le numérique. Dans leur art pour tous, Photoshop devient photo-copiage, polychromique, excentrique, baroque. Absolutely Fabulous ! Inutile de s'étendre, tout le monde les connaît. Il y avait aussi Pascal Monteil. Avant qu'il ne se mette au tissage "réel", il utilisait Photoshop comme du photo-tissage. Il disloque les perspectives et invente des paysages, amplifiant "hystériquement" la distance de tous les éléments qui entrent dans ses univers de synthèse, comme ses naturistes qui flottent au milieu de la verdure. C'est l'an 2000....
La technologie ne donne qu'une illusion de rapprochement et creuse d'autant plus les distances. Concluons : la médiation du virtuel impacte la pratique du réel, inverse les relations. Elle détruit la chaleur, abolit l'idée de proximité. La technologie nous écarte, elle nous fige dans l'illusion. Le réel, il ne se réduit pas à une citation de Lacan : on ne s'y cogne pas d'un coup, on s'y frotte en permanence. Si l'on s'y cogne, c'est que l'on est déjà très très loin. Le réel est liquide, on baigne dedans. Il devient dur uniquement pour ceux qui tombent de haut...
On peut enfin découvrir, grâce à la galerie Valentin, un autre artiste pionnier de l'illusion photoshopée : Nicolas Moulin, l'auteur de "Vider Paris", un ensemble photographique impressionnant réalisé entre 1999 et 2001, juste avant l'attentat du WTC... A cette date, il colle des parois de béton brut au bas des immeubles parisiens, remplace les rues par des voies express, sans humain, sans mouvement. Il pose des hypothèses pour expliquer ce vide, sans donner d'explication : il sent, il ressent, il pressent. Il rend les surfaces brutes, mais détruit toute possibilité de frottement. Aujourd'hui, il (re)crée une ville extraordinaire, une architecture oubliée dans un désert. Il invente une cité hypermoderne dans des paysages photographiques recomposés, toujours en ajoutant de la texture, celle-là même que l'on voulait supprimer pour améliorer le monde réel dans les années 1990. Puis il produit des maquettes architecturales en carton-bois, comme en fabriquent les étudiants. Singulier inversement, si révélateur : l’image d’abord, la construction ensuite. Et si l'ultra-réalisme de l'image décidait du réel. Oui, tout commence là, quelque part dans les années 1990.
Il concrétise ainsi le rêve moderne jusqu'au bout, juste avant l'oubli et l'effacement total, c'est à dire au moment de la belle ruine ! Tout le monde répète cette phrase de Perret à l'envi, celle sur les ruines. Et je suis heureux de voir aux côtés des œuvres de Nicolas Moulin qui nous parlent du rêve fascinant, effrayant et presque oublié des Modernes, quelques créations majeures des décorateurs de la Reconstruction, sommet d'un monde réel aujourd'hui relégué dans un lointain passé.
Bravo à la galerie Valentin pour m'avoir fait découvrir cet artiste, et à Athome_paris pour cet excellent choix de mobilier. Merci à Philippe Valentin et à Christine Barjou pour cette belle union. Ci-après le texte de Christine Barjou, et trois photos prises dans la galerie Valentin...